J'ai essayé d'épargner à la plupart des gens que je connais les raisons compliquées pour lesquelles mon nom de famille a changé, au fil des ans, avec ou sans leur connaissance. Ceux qui se souviennent de mes années comme peintre d'art au Canada auront vu mon nom à des expositions ou sur des cartes d'invitation comme "Denis Guay", le nom de mes premières années à Montréal, ma scolarité et mon premier certificat de naissance. Au début de la vingtaine, à une époque où je m'occupais de pantomime et d'école de mime (dans l'ancien espace de la Galerie SAW, sur la rue Rideau à Ottawa), en plus de chanter une chanson occasionnelle et de bricoler des graphiques, les lignes créatives plutôt parallèles que je commençais à tracer, suggéraient que ce serait une bonne idée d'avoir une identité différente, pour éviter la confusion entre les gens, d'atténuer les frontières de mon activité, etc. Je dis cela parce qu'à l'époque, les peintres impliqués dans le graphisme, ou toute autre activité parallèle (même s'ils n'avaient que noblement l'intention de joindre les deux bouts) étaient qualifiés d'"amateurs" ou peintres du dimanche, aussi bons qu'ils aient été. De nos jours, une telle activité de double survie ne surprend personne, mais dans les années 70 et 80, les choses étaient bien différentes. Une galerie ou un marchand d'art sérieux éviterait un artiste qui ne peint pas vraiment à plein temps. Pour être juste envers les deux parties, les personnes " artistiques " ont parfois quitté leurs responsabilités sans sourciller, oubliant des dettes, des pensions alimentaires pour enfants ou d'autres obligations, presque découragées d'accepter même un emploi à temps partiel, pour ne pas mettre en péril leur carrière artistique en herbe.
Au fur et à mesure que mes activités se développaient, j'ai donc ajouté "Denis Glass" au line-up et j'ai subi un changement de nom légal. Lorsque je suis retourné à la peinture à temps plein à la fin de la vingtaine, j'ai continué à utiliser le nom "Denis Guay" pour les beaux-arts, mais tout le reste, y compris mes documents juridiques, mon permis de conduire, mes contrats de location et tout le reste. Comme les choses se font au Canada, où le changement de nom est assez simple, mon nom de famille a été officiellement changé, y compris jusqu'aux registres provinciaux des naissances. La première identité n'existait plus. C'était un peu un soulagement, à bien des égards, puisque mon nom de naissance avait été très francophone dans les endroits anglophones où je vivais et travaillais, et le nom Glass, choisi en raison des qualités combinées de transparence et de cassabilité que j'aimais, s'est rapidement installé. Ma vie personnelle, mes cercles créatifs, mes amies et mes amis en général, étaient pratiquement tous anglophones, donc le changement était naturel.
Au milieu de la trentaine, à l'improviste, mon père, mon frère et moi avons reçu un document officiel du gouvernement provincial de l'Ontario, en pleine calligraphie et décorum, qui nous informait que nous étions les descendants directs d'un des fondateurs de la Nouvelle-France (" Nouvelle-France ", comme cette région était connue avant l'incorporation officielle du Canada en 1867). "Mon Dieu", avons-nous sursauté, cela veut-il dire que nous serons taxés pour une sorte de "réparation" ?.... En fait, notre ancêtre direct, Jean Guiet (non, ni Glass, ni Guay) avait mis les pieds sur le sol nord-américain en 1643, et avait travaillé avec les Hurons (et non contre eux, donc pas contre eux, pas de réparations) comme un modeste charpentier, se portant volontaire pour aider à construire certains des premiers établissements massifs créés par les Jésuites. Ces endroits existent toujours, des palissades et tout ça, et ils ont été reconstruits dans le cadre du patrimoine fondateur du Canada. Ceux qui sont particulièrement bien informés sur leurs saints et martyrs de l'époque et de l'histoire jésuite, reconnaîtront les noms "Jean de Brébeuf" et "Gabriel Lallemand", comme deux malheureux hommes brûlés (vivants) sur le bûcher par les Iroquois, qui n'étaient pas les plus accueillants responsables du service de l'immigration en Nouvelle-France, à cette époque.
L'écho de ces racines lointaines mais solides a été la raison pour laquelle j'ai subi un dernier changement de nom au début des années 90, pour revenir au nom authentique de notre ancêtre, tandis que j'ai choisi de garder "Denis Glass" comme nom de plume, pour mes écrits. D'après une étude superficielle des divers documents généalogiques partagés par le gouvernement ou d'autres parents, le nom "Guay" était probablement une mésaventure notariale ou une copie pauvre, par quelqu'un au 18e siècle. De telles erreurs n'étaient pas inhabituelles dans les jours qui ont précédé l'apparition des feuilles de calcul et du stockage de données dans les nuages.
"Denis Guay" était donc réservé aux activités de peinture, même si je n'aurai peut-être jamais le temps d'y revenir. "Denis Glass" est utilisé pour l'écriture non commerciale (le genre sérieux), que je n'ai pas trouvé le temps de faire très sérieusement depuis quelques années, et "Denis Guiet" est mon nom légal, en parfaite harmonie avec ce que mon ancien ancêtre européen aurait voulu. C'est simple, n'est-ce pas ?